Les gens, figés sur place, se dévisagèrent un instant, avec stupeur. Puis ils se mirent à courir dans toutes les directions.
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Au loin, d'autres cloches s'embranlaient. en un minute, le ciel de Paris était devenu pareil à une coupole de bronze, heurtée de toutes parts du même rythme tenace, sinistre comme un glas.
Jenny ne comprenait pas. Elle répétait:
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Sans un mot, il l'entraîna sur la chausée que des centaines de personnes, insouciantes des voitures, traversaient en tous sens.
un attroupement, qui grossissait à vue d'oeil, s'était formé, devant un bureau de poste.
Sur le vitrage, un papier blanc venait d'être collé, de l'intérieur. Mais Jacques et Jenny se trouvaient à trop grande distance pour pouvoir lire. On entendair murmurer <<ça y est... ça y est>>. Ceux des premiers rangs demeuraient une minute, hébétes, le front levé vers l'affiche, qu'ils avaient l'air d'épeler, à grand effort d'attention. Puis ils se retournaient, l'oeil morne, le visage suant et défait; les uns, sans rien dire, sans regarder personne, se frayaient un passage et s'enfuyaient, le menton sur la poitrine; d'autres, au contraire, les yeux embués, hochaient la tête et s'en allaient comme à regret, quêtant des regards fraternels, et balbutiant des paroles étouffées qui ne trouvaient pas d'accueil.
Enfin, les deux jeunes gens purent approcher à leur tour. Sur la petite feuille rectangulaire, fixée au carreau par quatre pains à cacheter rosâtres, une écriture impersonnelle, appliquée, une écriture de femme, avait tracé ces trois lignes, sagement soulignées à la règle.
MOBILISATION GENERALE
LE PREMIER JOUR DE LA MOBILISATION
EST LE DIMANCHE 2 AOÛT
Jenny serrait contre son buste la main que Jacques avait glissée sous son bras. Lui, il restait immobile. Comme les autres, il pensait <<ça y est>>. Dans son cerveau, les pensées se succédaient, très vite. Il s'étonnait, malgré tout, de soufrir si peu. N'eût ce tocsin qui, de seconde en seconde, lui martelait le cerveau, peut-être même eût-il ressenti une sorte de détente nerveuse: cette espèce de soulagement organique que lui apporterait tout à l'heure, sans doute, à la fin de cette journée orageuse, la première goutte de pluie... Apaisement factice, que ne dura qu'un instant. Comme un blessé, qui, d'abord, n'a pas senti le coup, mais dont la plaie s'ouvre soudain et saigne, une douleur aiguë le pénétra; et Jenny perçut un soupir rauque entre les dents contractées.
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Il ne voulait pas parler"
Roger Martin du Gard
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